Un pied de brocoli par-ci, un yaourt périmé et un reste de pain sec par-là : nous avons l’impression de jeter finalement assez peu de nourriture à la poubelle. Une impression trompeuse, comme le montrent les chiffres. Les ménages suisses gaspillent 778 000 tonnes d’aliments par an. Mais ce n’est pas tout : le gaspillage alimentaire commence dès la récolte et se poursuit tout au long de la chaîne de valeur. Au niveau de l’industrie de la transformation, du commerce, dans le secteur de la restauration et dans les foyers.
Lors de la récolte dans le champ, les légumes qui ne correspondent pas à la norme ne sont pas envoyés chez le transformateur. Et si la quantité récoltée dépasse la demande, comme cela peut arriver pour les tomates, les salades les courgettes, les légumes en trop sont compostés, donnés aux animaux ou utilisés pour la production de biogaz.
Au niveau de la transformation, qui cause à elle seule une part majeure des pertes alimentaires, estimée à environ un million de tonnes de denrées gaspillées par an, la non utilisation des sous-produits comestibles y contribue grandement. Autrefois, nos grands-parents mangeaient le cœur et les reins des bêtes. Aujourd’hui, les abats finissent régulièrement dans les déchets jetés par les abattoirs. C’est la même chose avec le petit-lait résiduel issu de la production de fromage, ou aussi avec le son du blé, obtenu lors de la fabrication de la farine. Ces produits sont donnés aux animaux de rente, alors que d’un point de vue nutritionnel, ils sont intéressants pour l’être humain (lire aussi l’article « Sauvés du gaspillage »).
Limiter l’impact environnemental
« Les pertes alimentaires évitables désignent la part comestible des denrées produites pour l’alimentation humaine que les êtres humains ne consomment pas », explique Jonathan Brünggel de la section Consommation et produits de l’OFEV. On parle également de pertes alimentaires évitables lorsque les denrées ne finissent pas à la poubelle, mais dans une installation de biogaz ou dans la gamelle du chien. « Lorsque des denrées alimentaires sont produites dans une qualité supérieure, destinée à la consommation humaine, il est préférable de les valoriser en les donnant aux animaux ou de les utiliser pour la production d’énergie plutôt que de les jeter, mais elles sont quand même comptabilisées comme des pertes », indique Jonathan Brünggel. Si l’on prend en compte tous les échelons de la chaîne de valeur, les pertes alimentaires évitables s’élèvent chaque année à 2,8 millions de tonnes en Suisse – le gaspillage concerne donc un tiers des aliments produits et importés dans le pays.
Karin Spori
Directrice de foodwaste.ch © Manu Friederich/BAFU
« Sachant que le système alimentaire représente plus d’un quart de notre empreinte écologique totale, la réduction du gaspillage alimentaire constitue un levier important dans notre action en faveur de l’environnement et du climat », affirme Claudio Beretta. Le scientifique spécialiste de l’environnement effectue des recherches portant sur la durabilité du système alimentaire à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) et a participé à la rédaction du rapport sur le gaspillage alimentaire à destination de l’OFEV.
Dans ce cadre, il n’a pas seulement examiné le volume des pertes alimentaires, mais aussi son impact sur l’environnement. Selon les calculs de Claudio Beretta, le gaspillage alimentaire représente environ 10 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre en Suisse et a un impact sur l’environnement correspondant à la moitié de celui du trafic individuel motorisé.
Objectif : sauver toutes les denrées alimentaires
« La valorisation sous forme d’alimentation animale ou d’énergie nous permet de compenser uniquement une part infime de la pollution causée par ce domaine, observe Claudio Beretta. Par conséquent, l’objectif doit être d’utiliser l’intégralité des denrées pour notre alimentation. » Que ce soit en évitant les excédents, en donnant les restes de nourriture ou en utilisant les résidus et les sous-produits comme aliments. Il serait par exemple possible de transformer les protéines de petit-lait en substituts de viande et l’ajout de coques de cacao permettrait de réduire la part de chocolat dans la crème glacée.
Le plan d’action contre le gaspillage alimentaire adopté par le Conseil fédéral en 2022 propose une série de mesures visant à réduire le gaspillage dans le secteur alimentaire (lire aussi l’encadré). Il existe également de nombreuses initiatives et des offres du secteur privé dans ce domaine, à l’image de plateformes en ligne comme Circunis, Olanga et Rohstoffbörse, sur lesquelles les producteurs, les acteurs de la transformation, les détaillants ou les entreprises de restauration peuvent proposer leur surplus. Ou encore la plateforme Food Bridge qui aide les entreprises à effectuer des dons de produits alimentaires à des organismes caritatifs. Les associations Madame Frigo et foodsharing permettent aux consommatrices et consommateurs d’échanger des denrées alimentaires grâce à un réseau de réfrigérateurs publics.
Les aliments non consommés ont un impact important sur l’environnement. Cependant, un kilogramme de pertes alimentaires a plus d’impact sur l’environnement s’il intervient dans les ménages, la restauration ou le commerce que dans l’agriculture, l’industrie ou la transformation. Car dans le premier cas, les aliments ont souvent déjà été transportés, traités, éventuellement réfrigérés et parfois même déjà cuits.
Contre le gaspillage à la maison
Le commerce de détail joue donc un rôle-clé à cet égard. À l’aide de différentes mesures, il peut en effet contribuer à réduire l’impact des pertes alimentaires sur l’environnement. Au niveau de l’agriculture, il est aussi possible de modifier les termes des contrats signés avec les acteurs par le biais d’une planification adaptée et suivant la récolte. L’information aux consommatrices et consommateurs joue aussi un rôle essentiel.
« À la maison, le plus simple pour réduire le gaspillage alimentaire est d’acheter de plus petites quantités et de ne pas se laisser séduire par les offres spéciales, conseille Karin Spori, directrice de foodwaste.ch. Il est également utile de conserver les restes dans des boîtes transparentes afin de toujours visualiser les aliments à disposition. » Le site foodwaste.ch propose des conseils et des informations sur la valorisation des restes et la durée pendant laquelle il est encore possible de consommer les aliments au-delà de la date limite de consommation, afin de faire en sorte que le pied de brocoli, le yogourt périmé et le reste de pain sec ne soient plus jamais jetés à la poubelle.
Passer a l’action contre le gaspillage
Dans le cadre du plan d’action contre le gaspillage alimentaire, 36 entreprises et associations suisses issues des domaines de l’agriculture, de la transformation, du commerce de détail et de la restauration ont signé un accord intersectoriel dans lequel elles se déclarent prêtes à réduire de moitié le volume total de produits alimentaires gaspillés d’ici à 2030. Les mesures concernent notamment la collecte systématique de données sur les pertes alimentaires, la promotion des innovations pour les sous-produits, des initiatives en matière de formation et une meilleure indication de la durée de conservation. Environ 10 % des produits alimentaires invendus dans le commerce de détail font d’ores et déjà l’objet de dons. En revanche, très peu de détaillants congèlent la viande fraîche, alors que ce procédé leur permet de disposer de 90 jours supplémentaires, au-delà de la date de consommation, pour la vendre. L’année prochaine, un premier bilan intermédiaire sera dressé, l’objectif étant de mettre en évidence les mesures du plan d’action qui font leurs preuves et leur effet.
EN BREF
Le gaspillage alimentaire commence dès la récolte et se poursuit avec la transformation et le commerce, jusque dans le secteur de la restauration et dans les ménages. Comme l’alimentation représente un quart de notre empreinte écologique, la réduction du gaspillage alimentaire constitue un levier important dans notre action en faveur de l’environnement.