Difficile, en regardant le quartier Oberfeld d’Ostermundigen, une commune de l’agglomération bernoise, de s’imaginer qu’il s’agit d’un ancien champ de tir. Dans ce lotissement coopératif sans voitures, des drapeaux « PEACE » flottent sur les balcons et des arbres bordent les rues dont l’éclairage est commandé par des détecteurs de mouvement. Ce quartier fait figure d’exemple en matière de développement de la construction durable. Seule trace du passé : un long bâtiment surmonté d’un toit à deux pans dans un grand champ – l’ancien stand de tir.
Pendant 70 ans, des sociétés de tir et de chasse, ainsi que l’armée, ont tiré sur 240 cibles réparties sur les 210 000 mètres carrés du site. Il y avait même une installation de tir au pigeon d’argile. Tout cela a eu des conséquences : le plomb contenu dans les projectiles et l’antimoine, un métal lourd et toxique utilisé comme agent de durcissement, ont contaminé le sol. Avant que la Ville de Berne, alors propriétaire, ne vende le site d’Oberfeld à la caisse de pension de l’Association suisse des médecins-assistants et chefs de clinique (ASMAV), il a été décidé de procéder à un assainissement total, c’est-à-dire d’éliminer l’ensemble des polluants qui s’y trouvaient. « Du point de vue du droit des sites contaminés et des risques potentiels, un assainissement total n’était pas nécessaire », précise Thomas Lepke, collaborateur scientifique à la section Sites contaminés de l’OFEV. Mais il est quasiment impossible de trouver un acheteur pour un terrain à bâtir pollué.
Les stands de tir pollués de Suisse
Au total, les cadastres cantonaux des sites pollués recensent près de 4000 zones situées dans le périmètre des installations de tir en Suisse. Entre 2000 et 2500 de ces installations doivent être assainies et la moitié d’entre elles ont déjà pu l’être. D’ici 2045, encore 1200 installations de tir doivent encore être assainies
Sur la base des investigations préliminaires, le bureau d’ingénieurs responsable de l’assainissement a calculé que jusqu’à la fermeture de l’installation en 2001, pas moins de 40 millions de balles avaient dû pénétrer dans le sol, ce qui correspond à environ 270 tonnes de plomb. Pour que le site soit considéré comme non pollué, il ne devait pas rester plus de 50 milligrammes de plomb par kilogramme de sol en moyenne. Ce qui a suivi était l’un des projets d’assainissement d’installation de tir les plus importants de Suisse.
Un projet innovant
Comme pour la plupart des installations de tir, sur le site d’Oberfeld, il a fallu retirer les couches supérieures de terre – sur une surface de 170 000 mètres carrés. En temps normal, les matériaux d’excavation sont transportés vers des installations spécialisées pour être lavés puis, en fonction de la contamination, éliminés dans des décharges ou réutilisés ailleurs. Comme l’explique Stephan Wüthrich, qui a accompagné l’assainissement en tant que chef de projet, cela n’a pas été le cas à Ostermundigen.
L’entreprise mandatée pour le traitement du sol a proposé une méthode plus durable : elle a installé sur le site une énorme tente dans laquelle elle a tamisé la terre pour la débarrasser d’une grande partie du plomb. « Dans certains cas, nous avons pu réutiliser sur place ou éliminer à moindres frais les matériaux dont la concentration en polluants était inférieure à la valeur limite, ce qui a permis de réaliser des économies sur les ressources et le transport », indique Stephan Wüthrich. Les coûts d’assainissement, d’environ 15 millions de francs, ont été pris en charge par le fonds OTAS pour les sites contaminés de la Confédération, l’armée, la Ville de Berne – en tant qu’ancienne propriétaire, la commune d’Ostermundigen ainsi que le fonds cantonal pour la gestion des déchets.
L’assainissement du site d’Oberfeld ne fait pas uniquement figure d’exemple pour sa durabilité. Il fait aussi partie des rares sites d’installation de tir entièrement assainis. En Suisse, seuls les sites d’installations de tir sur lesquels des bâtiments résidentiels sont prévus font l’objet d’un assainissement total. Car un tel processus coûte cher. Thomas Lepke, de l’OFEV, le confirme : seul 5 % de ces sites, répertoriés dans les cadastres sont totalement assainis. Pour les autres, on vise le taux définit par la loi de 1000 milligrammes de plomb par kilogramme de sol.
De l’installation de tir au pâturage
À Dänikon, dans le canton de Zurich, se trouve une installation de tir considérée comme exemplaire pour l’assainissement de ce type de sites. En 2020, on y a retiré près de 11,5 tonnes de plomb du sol et la pollution a été abaissée à moins de 1000 milligrammes par kilogramme de sol. De tels assainissements empêchent que les biens à protéger tels que le sol, les eaux souterraines, les ruisseaux ou les lacs ne soient contaminés.
À Dänikon, l’objectif était de protéger le sol. L’installation de tir à 300 mètres devait non seulement rester ouverte avec dix cibles, mais aussi servir de pâturage à bovins. Pour que le sol ne soit pas à nouveau contaminé par l’activité de tir, on a installé derrière les cibles des systèmes de récupération des balles à zéro émission qui permettent de collecter proprement les matériaux des projectiles et d’éviter les émissions de polluants.
Le plus souvent, les projets d’assainissement sont mandatés par la commune sur laquelle se trouve une installation de tir, alors que les cantons prennent les décisions administratives. Conformément à la loi sur la protection de l’environnement, le fonds OTAS pour les sites contaminés contribue à hauteur de 8000 francs par cible – cela correspondant en moyenne à 40 % des coûts engagés pour l’investigation, la surveillance et l’assainissement des installations de tir. Les communes, les cantons ainsi que les pollueurs tels que les sociétés de tir et l’armée se partagent le reste de la facture.