En raison des changements climatiques, les périodes de sécheresse sont plus fréquentes qu’auparavant en Suisse. Elles ne se produisent pas seulement en été. Nous l’avons bien vu au début du mois d’avril 2025. Une grande partie des Grisons présentait un danger marqué d’incendie de forêt (niveau 3), tandis que la partie inférieure du lac de Constance enregistrait son niveau le plus bas depuis plus de 50 ans à cause du peu de neige dans tout l’arc alpin durant l’hiver 2024-2025. Le manque d’eau de fonte, accompagné de l’absence de précipitations sur une longue période, a réduit les débits, notamment dans le nord de la Suisse et dans les Préalpes orientales. Ce changement pose de grands défis à la population, à l’agriculture, à l’approvisionnement énergétique et aux écosystèmes. Comment le canton des Grisons fait-il face à cette évolution?

Daniel Güttinger, les Grisons n’est pas seulement le canton qui possède la plus grande superficie, mais aussi une région qui présente une topographie très variée. Est-ce que cela représente un défi particulier?
Les Grisons sont très alpins, avec 150 vallées et de nombreuses montagnes. Le Piz Bernina culmine à plus de 4000 mètres alors que le point le plus bas se situe à moins de 300 mètres d’altitude à la frontière cantonale avec le Tessin. Il n’est pas rare que les événements naturels soient régionaux. Par exemple, le foehn dans la vallée du Rhin apporte de la pluie dans le val Mesolcina et le foehn du Nord signifie un une accumulation de nuages chez nous à Coire. Nos vallées internes comme le Domleschg, la Basse-Engadine ou le centre des Grisons sont des régions qui sont connues pour leurs faibles précipitations et leur sécheresse. Il n’est guère possible de formuler des généralités pour un canton aussi étendu et au relief aussi escarpé. Voilà pourquoi j’aime dire que le canton des Grisons est une Suisse miniature.    

Comment la sécheresse se manifeste-t-elle concrètement? 
Dans les vallées particulièrement affectées par la sécheresse, il est nécessaire, déjà aujourd’hui, de déployer de grands efforts pour réussir à maintenir une production herbagère. Seules des installations d’irrigation permettent d’assurer des rendements à l’agriculture. En été, les exploitations alpestres doivent disposer de suffisamment d’eau pour abreuver le bétail. Cela n’a pas toujours été le cas ces dernières années, puisque des hélicoptères ont dû approvisionner les alpages en eau. Il est important que l’eau héliportée soit prélevée dans les grands cours d’eau pour ne pas accentuer la pression sur les ruisseaux et les petites rivières. Dans certains cas, les paysans ont dû organiser la désalpe plus tôt que prévu. Nous constatons aussi une hausse des demandes de nouvelles fontaines d’eau potable ou de nouveaux captages d’eau. Des solutions techniques telles que l’irrigation goutte à goutte, comme pour les cultures spéciales dans la vallée du Rhin, sont des exemples à suivre pour une gestion plus efficace de l’eau. Les épisodes de sécheresse affectent différemment les régions, mais toutes peuvent être touchées. 

Quelles sont les conséquences de la sécheresse en dehors de l’agriculture? 
Les petits cours d’eau ont parfois atteint un niveau si bas que des pêches de sauvetage ont été nécessaires. Le danger d’incendie de forêt augmente, ce qui peut entraîner des interdictions de faire du feu et d’utiliser des feux d’artifice. La capacité d’adaptation des forêts aux changements climatiques est un sujet important: la promotion des essences d’avenir y joue un rôle crucial. Les épisodes de sécheresse ont aussi eu des répercussions sur notre organisation interne. Le canton des Grisons a déjà mis en place un état-major consacré à la sécheresse durant l’été record de 2018. Différents services publics ont coordonné les mesures qu’ils ont prises et défini une communication commune pour informer la population et les médias. Les périodes de sécheresse s’aggravent, les données sur les eaux souterraines le montrent également.  

Images de août 2021 et 2022, un été marqué par la sécheresse 

Comment la population perçoit-elle la problématique de la sécheresse?  
Contrairement aux autres dangers naturels, la sécheresse est un phénomène insidieux qui n’affecte pas l’ensemble de la population au même niveau. Aujourd’hui, le citoyen et la citoyenne lambda sont rarement directement concernés. Dans certains cas, la sécheresse entraîne une interdiction d’arroser les pelouses ou de laver les voitures, mais le temps beau et sec est généralement apprécié.  J’ai l’impression que pour la population, il n’est pas facile de comprendre que la sécheresse constitue une menace. D’où l’importance pour les médias de remettre les épisodes de sécheresse en contexte, d’expliquer pourquoi les niveaux d’eau sont bas et ce que cela signifie pour l’agriculture et les récoltes et de communiquer sur le danger d’incendie de forêt. 

Les données actuelles montrent un déficit de neige dans les Alpes par rapport à la moyenne pluriannuelle alors que les stations de ski tirent un bilan positif de l’hiver. Comment concilier ces informations? 
La réponse technique aux hivers secs sont les canons à neige. Ils permettent de bien préparer les pistes tandis que les longues périodes de ciel bleu contribuent aussi à la réussite de la saison de ski. Il suffit de regarder hors des pistes et, avant tout, la quantité de précipitations pour constater un déficit de neige. Ces dernières années, les petites stations de ski exposées plein sud arrivaient à peine, ou même plus du tout à ouvrir les remontées mécaniques. Voilà pourquoi je ne suis pas surpris que de nombreuses parties des Grisons subissent une sécheresse déjà au début du mois d’avril.  

Une plateforme nationale sur la sécheresse a été mise en ligne. Quelles sont vos attentes? 
Pour moi, la plateforme représente un pas de géant. Elle fournit des informations sur la situation actuelle en matière de sécheresse, renseigne sur les événements passés et propose des prévisions. Elle permet aux cantons et à la population d’avoir accès à des données claires, professionnelles et de grande qualité. Elle donne un indice de sécheresse et devrait servir de référence pour évaluer des événements météorologiques. J’en attends beaucoup en ce qui concerne la communication avec la population ou avec les médias. J’aurais souhaité avoir une plateforme de ce genre déjà lors de l’été record, en 2018. 

Portrait Daniel Güttinger

Daniel Güttinger

Daniel Güttinger est vice-directeur et chef de la division qui coordonnent les procédures à l’office de la nature et de l’environnement (Amt für Natur und Umwelt, ANU) du canton des Grisons. Il examine avec son équipe l’exhaustivité et la clarté des avis rédigés par les départements techniques, mais aussi les demandes de permis de construire sous l’angle de la sécheresse. Lors des travaux préparatoires de la plateforme, M. Güttinger a participé au groupe de suivi de la mise en place et du développement du système de la Confédération de détection et d’alerte précoces en matière de sécheresse. Docteur en génie rural, Daniel Güttinger est aussi titulaire d’un diplôme postgrade en aménagement du territoire (obtenus tous deux à l’EPFZ). Âgé de 58 ans, il vit avec sa famille à Coire.