La crue centennale de 2005 a marqué un tournant pour Matthias Oplatka. Bien que sa ville natale de Zurich ait échappé de justesse à la catastrophe, ce fut un signal d’alarme pour le responsable du service des constructions hydrauliques du canton de Zurich. Quelques dizaines de centimètres d’eau supplémentaires et la Sihl envahissait une partie du centre-ville et la gare centrale, ce qui aurait engendré l’évacuation de plusieurs milliers de personnes, du désordre à grande échelle et d’énormes dégâts financiers.

Évaluer le risque de dégâts
Pour M. Oplatka, 61 ans, les choses étaient claires : « Nous devions passer d’une planification des mesures basée sur la menace à une planification basée sur les risques. » Jusqu’en 2005, le canton a réagi principalement après les inondations. Ensuite, une réorientation s’est esquissée, consistant à ne plus seulement considérer le danger, à savoir la crue, mais aussi et surtout la probabilité de dommages et donc le risque. Grâce à la carte des dangers nouvellement élaborée à ce moment-là, les dégâts les plus importants devaient désormais être évités préventivement.

Après la crue de 2005, M. Oplatka a collaboré avec des météorologues et des scientifiques pour superposer des données météorologiques issues des régions fortement touchées, de l’Oberland bernois et de la Suisse centrale sur le bassin versant de la Sihl. Le résultat était le suivant : dans 15 des 16 scénarios envisagés, Zurich se retrouvait sous l’eau.

D’après le canton, une crue extrême de la Sihl pourrait entraîner des dégâts estimés à presque sept milliards de francs pour la seule ville de Zurich. Des coûts économiques s’y ajouteraient : l’infrastructure routière serait paralysée, les habitants ne pourraient plus se rendre au travail et les dommages causés à l’approvisionnement énergétique auraient des conséquences financières. Le canton estime que ces coûts seraient jusqu’à sept fois supérieurs au montant des dommages matériels effectifs.

 La solution : une galerie de décharge
L’analyse des épisodes de crue a permis de conclure que le besoin d’intervention était urgent. Le canton de Zurich a donc rapidement lancé des mesures à court et à moyen terme en étroite collaboration avec les partenaires concernés. À l’avenir, la protection contre les crues de la ville de Zurich reposera sur la galerie de décharge entre la Sihl et le lac de Zurich. En construction depuis 2022, celle-ci devrait ouvrir l’année prochaine.

Le principe est simple : si, à la hauteur de Langnau am Albis, le volume d’eau de la Sihl est trop important, le trop-plein déborde dans un déversoir et s’écoule dans une galerie à travers le Zimmerberg jusqu’au lac de Zurich. La majeure partie de l’ouvrage ne se verra pas, à l’exception d’un long mur de béton à l’entrée de la galerie qui se couvrira de mousse avec le temps.

La Sihl reste une rivière proche de l’état naturel...
Le système mis en place est plus complexe qu’il n’en a l’air. Pour réguler le volume d’eau qui s’écoule dans la galerie, le déversoir est mobile. Il se compose de barrages gonflables remplis d’air dont la hauteur peut être modifiée en les gonflant plus ou moins. Si la Sihl connaît une crue extrême, un plus grand volume d’eau doit s’écouler dans la galerie que lors d’une crue normale.

Afin de tester l’ouvrage, un modèle a été réalisé à la station d’essai pour la construction hydraulique de l’EPF de Zurich. Selon Matthias Oplatka, « ce qui rend les ouvrages hydrauliques si intéressants, c’est l’absence de normes. »

Le déversoir est conçu de telle sorte que la Sihl peut encore connaître des crues. « Un cours d’eau sain en a besoin », explique M. Oplatka. Si des arbres sont arrachés, cela fait de la place pour les nouveaux, les poissons ont besoin que les bancs de gravier se régénèrent pour frayer et le lit de la rivière doit être remué pour renouveler les eaux souterraines. Un groupe formé de membres du public, qui a accompagné le projet de manière participative, a débattu de l’avenir de la Sihl dans l’espace urbain et est parvenu à une conclusion : « La Sihl est une rivière proche de l’état naturel et doit le rester. »

… et même des amphibiens sont sauvés
Un projet de construction de cette envergure impose aussi bien des mesures de remplacement écologiques qu’un suivi environnemental de la phase de réalisation. Les mesures de remplacement écologiques consistent à regagner ailleurs l’espace naturel perdu sur le site de la construction. La Sihl est aménagée de manière attrayante pour les animaux et les plantes sous la gare de Langnau-Gattikon et la rive du lac de Zurich est revalorisée à Richterswil.

Ingénieurs et biologistes veillent à ce que les travaux de construction respectent au mieux l’environnement. Lucia Muther, responsable de la division Environnement au sein du bureau d’ingénieurs B+S AG, suit les travaux de la galerie de décharge de la Sihl : « On pourrait croire que nous sommes une sorte de police des chantiers, qui vient pour tout contrôler. En réalité, nous préférons nous voir comme des conseillers et des aides. »

Autres projets visant à protéger Zurich contre les crues

Lucia Muther participe par exemple au contrôle des matériaux d’excavation, qui ne doivent pas être pollués par du béton projeté. Si nécessaire, deux énormes installations provisoires traitent les eaux de chantier avant de les diriger vers les stations d’épuration communales, la Sihl ou le lac de Zurich.

« Nous vivons également des moments inattendus », explique l’ingénieure en environnement. Devant le chantier, de petites mares abritaient des sonneurs à ventre jaune qu’elle a dû déplacer. Les amphibiens sont revenus pendant les travaux. « Nous les avons donc transportés de l’autre côté dans des cuvettes et installés derrière une barrière de protection pour amphibiens. »

La personne responsable du suivi environnemental du chantier est la première sur les lieux et la dernière à partir. Elle surveille également la revitalisation du chantier. « Entendre à nouveau chanter les oiseaux après un gigantesque et bruyant chantier est très agréable », se réjouit Lucia Muther. Ce travail, qu’elle exerce depuis vingt ans, faisait sourire et était considéré comme coûteux et chronophage ; il occupe à présent une division qui a toute sa place.

©Keystone/Michael Buholzer

©Keystone/Michael Buholzer

La ville de la Limmat ? Non, de la Sihl !
« La Sihl est plus intéressante que la Limmat », d’après Matthias Oplatka. On appelle souvent Zurich la ville de la Limmat, pourtant c’est la Sihl impétueuse qui l’a façonnée. Une grande partie de la ville, dont la gare centrale, la Tonhalle et l’église Fraumünster, est édifiée sur des alluvions transportées par la Sihl. Cette dernière a repoussé la Limmat sur la droite de la vallée.

Zurich est-elle plus sûre maintenant que la Sihl est plus calme ? « Grâce à la galerie de décharge, nous avons fait un énorme pas en avant », affirme M. Oplatka. « Cependant, le risque de ruissellement en cas de fortes pluies subsiste. » Tôt ou tard, les surfaces imperméabilisées, les sols saturés et les canalisations surexploitées n’absorbent plus d’eau. D’après le responsable du service des constructions hydrauliques, cela représente environ la moitié des dégâts dus à une crue.