Les corridors à faune sont comme les autoroutes ou les voies ferrées des animaux. Même s’ils ne sont pas aussi précisément délimités que les infrastructures destinées aux humains, ils forment un réseau que la faune sauvage emprunte pour migrer d’est en ouest ou du nord au sud sauf quand des obstacles infranchissables se mettent en travers de leur chemin.

Prendre en compte la faune et la flore

« Actuellement, 16 % des corridors à faune sont interrompus et 56 %, perturbés », explique Adrien Zeender, responsable de l’évaluation écologique des infrastructures routières nationales à la section Gestion du paysage de l’OFEV. En effet, le mitage du territoire et les infra­structures de transport exercent une pression sur les espaces naturels. « Des années 1940 jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance relative à l’étude de l’impact sur l’environnement en 1988, l’impact sur la flore n’était pas pris en compte lors de la constructions de routes et celui sur la faune, encore moins. » Pourtant, les personnes chargées de la planification des infrastructures de transport ont rapidement pris conscience des problèmes que le morcellement des biotopes pouvait causer aux animaux sauvages. Les premiers passages à faune en Europe datent des années 1960. « Le problème était déjà connu, mais il n’a pas été suffisamment pris au sérieux », précise Adrien Zeender. 

Pour de nombreuses espèces, la mobilité est indispensable à leur survie. Que ce soit lors de migrations saisonnières, comme pour les cerfs, mais aussi pour éviter les problèmes de consanguinité survenant lorsque les animaux sont limités à un espace trop restreint. « Ces aménagements profitent aussi à la flore, explique Adrien Zeender, en utilisant les corridors, les animaux disséminent les graines et favorisent ainsi la dispersion des plantes. » Même pour des animaux qui se déplacent en volant, les autoroutes peuvent constituer un obstacle, c’est notamment le cas pour les chauves-souris volant à basse altitude. 

Traverser l’autoroute sans danger

Les lacunes en terme d’aménagement constatées par le passé sont progressivement corrigées grâce à l’assainissement des corridors et la construction de passages à faune. La Suisse compte aujourd’hui 44 passages pour grande faune. La plupart sont des passages supérieurs, mais on dénombre aussi quelques passages inférieurs. Sans compter qu’il existe aussi des passages à petite faune, comme les passages à amphibiens ou encore les passages à poissons. Les passages à faune supérieurs attirent souvent le regard en raison de leur taille. En effet, ils doivent être aussi larges que possible. L’expérience a montré que construire des passerelles de 50 mètres de large est pertinent. En plus de la largeur, il est important de prévoir un aménagement varié et naturel et un dispositif efficace pour protéger les animaux de la lumière des phares et du bruit. Ces mesures optimisent l’utilisation des dispositifs et à permettre aux animaux de traverser sans être dérangés. 

De nombreux efforts sont donc déployés pour que le franchissement des autoroutes et des voies ferrées soit facilité pour les animaux. Mais la partie n’est pas encore gagnée. Les besoins en passages à faune et la mise en place des mesures dans ce domaine sont loin d’être comblés, selon Cristina Boschi, biologiste de la faune et responsable de ces corridors pour le canton d’Argovie. « Trop de corridors sont encore perturbés. » 

Les passages comme renforcement de la sécurité

Les autoroutes constituent les barrières les plus importantes au déplacement des animaux, non pas en raison de la densité du trafic, mais parce qu’elles sont systématiquement clôturées, ironiquement pour protéger les animaux sauvages et les automobilistes. « Mais les animaux ont absolument besoin de franchir les barrières, explique Adrien Zeender, collaborateur scientifique à l’OFEV. Du coup, la faune sauvage va longer les clôtures jusqu’à la prochaine entrée d’autoroute et se retrouver sur la chaussée. En cas de stress, un cerf adulte serait même capable de sauter par-dessus des clôtures d’autoroute de deux mètres de haut. Des passages à faune fonctionnels contribuent donc à la sécurité du trafic. »

Lorsqu’elles sont hautement fréquentées, les routes non clôturées constituent aussi une barrière pratiquement infranchissable. On estime que leur traversée est impossible à partir d’un trafic de 10 000 véhicules par jour. L’importance de la circulation nocturne joue un rôle particulièrement décisif, car c’est la nuit que les déplacements dans les corridors à faune sont les plus nombreux.

Si les routes sont très fréquentées, l’espace deviendra insuffisant pour les animaux. « De plus en plus de tronçons sont concernés en Suisse », explique Adrien Zeender qui fait état d’une augmentation considérable du trafic au cours des dernières années. Le problème va donc également s’aggraver sur les routes cantonales.

Les cris du sanglier comme alerte

Tous les problèmes ne nécessitent pas forcément la construction d’un passage à faune. Dans le cas des routes cantonales, il est possible de mettre en place des systèmes d’avertissement de présence bidirectionnels. Ils avertissent les animaux dès qu’il y a un trafic dangereux, ou il avertissent les usagers de la route dès que le gibier se trouve à proximité de la route. D’après Adrien Zeender, ce sont les mesures sur les conducteurs qui s’avèrent plus efficaces. Ces systèmes d’avertissement combinent des panneaux lumineux « Attention gibier ! » à une réduction temporaire de la vitesse.

Inversement, les systèmes d’alerte destinés aux animaux sont plus appropriés pour les voies ferrées en raison du temps de freinage des trains. Des systèmes anticollision bioacoustiques sont en train d’être testés. Les animaux sont particulièrement sensibles aux signaux d’alarme des geais ou des chevreuils, par exemple. Mais les plus efficaces sont les cris de douleur des sangliers, diffusés au passage d’un train. « Les animaux apprennent ainsi qu’un train représente un danger. »

Les voies ferrées posent généralement moins de problèmes que les routes. « Pour commencer, elles ne sont pas clôturées et les trains circulent peu, voire pas du tout la nuit, du moins sur les lignes régionales. » L’identification des impacts écologiques engendrés par les infrastructures de transport réclame une observation minutieuse, comme le montre Adrien Zeender. Les corridors empruntés par les amphibiens le long des voies ferrées n’ont commencé à être cartographiés que récemment. Lorsque ces passages traversent une route, on constate de nombreux animaux écrasés. En revanche, lorsque les amphibiens sont contraints de franchir des voies ferrées pour rejoindre leurs lieux de reproduction, ce drame écologique passe inaperçu alors qu’il concerne plusieurs centaines de sites en Suisse. Une fois que leur parcours est connu, il est possible de restaurer la connectivité en nivelant le ballast sous les voies, afin de permettre aux animaux de traverser.

Quand les humains font obstacle 

Ces mesures impliquent parfois des constructions coûteuses qui ne se révèlent pas directement utiles aux hommes. « Il n’est pas surprenant que les passages à faune suscitent la polémique », déclare Adrien Zeender. Le comportement de la population peut entraver le fonctionnement de ces installations. En effet, il n’est pas rare que certains joggeurs, des cyclistes ou des promeneurs de chiens utilisent ces infrastructures, ce qui éloigne la faune. « Les animaux sauvages ont appris à considérer l’homme comme un danger, explique Cristina Boschi, biologiste de la faune sauvage dans le canton d’Argovie. Un passage offre peu d’échappatoires. Si, en plus, les animaux détectent une odeur humaine, ils n’osent plus le traverser. »

Un projet de passage à faune réussi doit donc inclure la gestion des passages de la population. Cristina Boschi évoque diverses mesures, comme la déviation des sentiers de randonnée et des routes forestières ou l’installation de panneaux d’information indiquant aux passants les zones à ne pas emprunter. « Il est obligatoire d’effectuer un contrôle de chaque passage à faune pour s’assurer de sa réussite », précise Cristina Boschi.

Orienter la faune

Il existe des cas difficiles parmi les animaux sauvages, admet Adrien Zeender. Une étude publiée en 2019 montre que les cerfs ne traversent les passages à faune supérieurs que lorsque les conditions sont optimales, et que les sangliers n’utilisent seulement que la moitié des passages étudiés. « C’est pourquoi il faut prendre en compte l’environnement et ne pas se focaliser uniquement sur le passage. » Les ouvrages peuvent par exemple être dotés de systèmes de guidage permettant aux animaux de les trouver plus facilement. Les passages difficilement accessibles, comme ceux entourés de champs, doivent être équipés d’une structure capable de guider la faune. « Les passages à faune ne sont pas destinés aux espèces sédentaires, mais à celles qui se déplacent », rappelle Adrien Zeender. Pour être optimale, leur construction doit donc être suffisamment large et protégée contre les émissions lumineuses ou sonores. En d’autres termes : se situer le plus loin possible des activités humaines.

Attention, passage de faune !

En principe, les sentiers pédestres ne mènent pas à proximité des passages à faune, reconnaissables à leur végétation dense et dépourvue de chemins. Si un randonneur tombe sur un passage à faune, il devrait quitter le site au plus vite et surtout dégager l’entrée. En effet, les animaux sauvages détectent pendant longtemps l’odeur laissée par les êtres humains et les chiens. L’expérience montre qu’ils attendent deux à quatre heures avant d’emprunter à nouveau le passage.