Comment les dangers sont-ils relevés et évalués ? Comment prévoir les inondations ou les sécheresses le plus précisément possible ? Sans oublier : Comment alerter de manière efficace ? Ces questions seront au cœur de la conférence internationale sur les dangers naturels RIMMA2025, qui se tiendra fin janvier à Berne. C'est la toute première fois que la Suisse accueille cette conférence, qui devrait rassembler environ 200 participants. Jürg Luterbacher, de l’Université de Giessen (Allemagne), interviendra en tant que conférencier au sujet d’un projet de l’Union européenne visant à développer un système d’alerte précoce des dangers naturels en Europe, dans le bassin méditerranéen et en Afrique.
M. Luterbacher, d’un point de vue général, quels sont, selon vous, les principaux défis en lien avec les dangers naturels ?
L’un des plus grands défis dans la gestion des dangers naturels réside dans la complexité croissante découlant des changements climatiques. Les événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les inondations, les fortes précipitations, les tempêtes et les sécheresses se produisent non seulement avec une fréquence et une intensité de plus en plus grandes, mais aussi de manière combinée – ce qui rend leur prévision difficile. Il est particulièrement important de modéliser avec précision les effets en cascade, c’est-à-dire les processus par lesquels un danger naturel génère d’autres risques, amplifiant ainsi les dommages totaux. Pour relever ces défis, il est indispensable d’adopter des approches interdisciplinaires, de coopérer à l’échelle internationale, de coordonner et de libéraliser l’échange des données et de bien communiquer.
Nous devons apprendre à vivre avec les dangers naturels, et donc accepter un risque résiduel.
Ce constat requiert une stratégie impliquant tous les niveaux de la société. Il est important de sensibiliser la population au moyen de programmes de formation et de campagnes d’information. Il est tout aussi essentiel de disposer de systèmes d’alerte précoce ainsi que de canaux de communication fiables pour atteindre à temps les personnes menacées. Enfin, des infrastructures robustes et des approches reposant sur la nature telle que la renaturation des zones alluviales ou le reboisement jouent un rôle crucial dans la réduction des risques et la résilience des écosystèmes. Afin de faciliter l’acceptation et la participation de la population, celle-ci devrait être activement impliquée dans les processus de décision. Une société résiliente s’appuie sur la responsabilité individuelle, la solidarité et l’action coordonnée. Ainsi, il lui est possible de maîtriser collectivement les risques qui ne peuvent être évités et de réduire au minimum leurs conséquences.
Quel rôle joue les systèmes d’alerte précoce ?
Un rôle central, bien entendu. Le défi consiste à traduire les données sous forme de systèmes d’alerte précoce et de stratégies d’adaptation qui tiennent compte de la réalité pratique. Les alertes doivent être communiquées de sorte à être compréhensibles pour un large public. Les régions les plus exposées aux dangers naturels, comme les petits États insulaires et les pays peu développés, disposent souvent de réseaux d’observation insuffisants. Ce projet actuel de l’Union européenne Mediterranean and pan-European forecast and Early Warning System against natural hazards (MedEWSa) travaille au développement d’un système d’alerte précoce des divers dangers naturels en Europe, dans le bassin méditerranéen et en Afrique. L’objectif est notamment d’améliorer les technologies existantes et de se concentrer sur les besoins des secouristes.
Quelles améliorations offrent les développements techniques de la chaîne d’alerte, rendus possibles par l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique ?
Grâce à l’analyse en temps réel de données complexes et à la détection précoce de schémas indiquant des dangers naturels, la technologie moderne permet d’établir des prévisions plus précises. Les modèles météorologiques de haute résolution, les données satellitaires, les données d’observation et les sciences citoyennes se complètent parfaitement. Les algorithmes d’apprentissage automatique modélisent plus efficacement les effets en cascade et les risques combinés, tels ceux liés à la chaleur et à la pollution de l’air. Les systèmes d’alerte précoce basés sur l’IA fournissent des alertes personnalisées, qui tiennent compte des risques locaux et des besoins spécifiques. Les processus automatisés raccourcissent les temps de réaction et permettent d’optimiser l’utilisation des ressources. En analysant les événements passés, les systèmes d’apprentissage automatique améliorent continuellement la précision des prévisions. Par ailleurs, les technologies telles que les agents conversationnels et les outils de traduction automatique facilitent la communication de crise en permettant de surmonter les barrières linguistiques. Elles renforcent la prévention ainsi que la résilience de communautés vulnérables et apportent ainsi une contribution décisive à la réduction des risques.
L’initiative des Nations Unies « Early Warning for all » vise à protéger la population mondiale contre les dangers naturels d’ici 2027 grâce à des systèmes d’alerte précoce. Un objectif ambitieux.
Cette initiative s’appuie sur quatre piliers. Tout d’abord, la gestion des risques, qui se concentre sur le relevé et l’évaluation des dangers. Ensuite, la détection, l’observation et la prévision afin de mettre à disposition des données précises sur les dangers tels que les tempêtes, les inondations ou les vagues de chaleur. Puis la communication des alertes afin d’assurer la diffusion de ces dernières de manière efficace et en temps voulu. Et enfin, les capacités de préparation et de réaction pour aider les communautés vulnérables à faire face aux situations d’urgence. Cette initiative promeut les investissements, les innovations et la coopération mondiale pour rendre les systèmes d’alerte précoce plus accessibles et efficaces, en particulier pour les populations les plus exposées. Elle entend ainsi assurer une protection à long terme des populations et de leurs moyens de subsistance.
Jürg Luterbacher
Soleurois d’origine, Jürg Luterbacher est professeur à l’Université de Giessen (Allemagne), où il enseigne la climatologie, la dynamique du climat et les changements climatiques. Il est également coordinateur du projet Horizon Europe MedEWSa (Mediterranean and pan-European forecast and Early Warning System against natural hazards), qu’il présentera le 28 janvier lors de RIMMA2025. Jürg Luterbacher (56 ans) a étudié et obtenu son doctorat ainsi que son habilitation à l’Université de Berne.